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Susie Morgenstern, Grande Ourse 2024 du Salon du livre jeunesse de Montreuil
Trois questions à Susie Morgenstern… L’exercice paraît incongru, tant sa langue est déliée, son geste exubérant et son écriture prolixe ! En 2021, elle publiait Mes 18 exils, sa joyeuse autobiographie aux éditions L’Iconoclaste…
À quoi ressemblait votre enfance aux États-Unis ?
J’ai baigné dans le bonheur toute mon enfance, entourée de femmes, de chants et de danse : avec ma mère et mes deux sœurs, nous formions un clan ! Les garçons n’existaient pas dans notre univers et pendant longtemps, c’était un territoire hostile, étranger, inconnu.
Vous n’allez pas le croire, mais j’étais la plus timide ! Ma mère avait quant à elle une grande personnalité, une vitalité, elle nous a nourri de sa confiance, nous l’a transmise en masse, ce que je fais moi-même aujourd’hui dans mes livres à travers des héroïnes fonceuses comme Margot Mégalo (son mot d’ordre est « fonce et tais-toi ») ou ma petite dernière, Perla.
Dans ce matriarcat haut en couleur, j’étais quelque peu raillée pour mon goût immodéré pour l’étude. J’écrivais, je lisais constamment, et je ne savais exprimer ma créativité autrement qu’avec un crayon et une feuille de papier. Ma mère disait que je ne trouverais jamais un mari comme cela ! Nous étions dans les années 50, et c’était notre rêve à toutes : attraper un petit bonhomme, se marier avec et faire de gros bébés ! Aujourd’hui, grâce à mes petites filles, j’apprends la condition féminine mais à l’époque, je vivais dans cette certitude que là résidait le but de la vie, même si j’ai été élevée dans l’idée que les femmes étaient les plus fortes…
Pour une jeune fille timide, vous avez pourtant fait preuve d’audace ! Je pense par exemple à votre exil en Europe, par amour.
Certes, mais j’étais inconsciente ! Et ce qui est inconscient ne peut être audacieux (rires).
Mais finalement, qu’est-ce que l’audace ? C’est une question que j’ai posée très innocemment en tant que membre du jury pour le prix de l’Audace de la fondation Culture et diversité, qui donne trois prix par an. Ma question a provoqué la gêne car elle a été perçue comme une critique, pourtant elle était très innocente ! L’audace, c’est oser sortir de ses gonds, s’adresser à un inconnu… Écrire un livre aussi est audacieux, puisqu’on s’expose à des critiques.
Mais je ne me perçois pas comme particulièrement audacieuse. Mes deux sœurs, elles, sont des modèles d’audace ! Essie, l’aînée, a une place très importante dans ma vie d’enfant et ma vie d’adulte ! Sa bonne humeur était inégalable, elle avait une complicité immédiate avec chaque être humain. Elle est maintenant une star en Israël, mais on se parle encore 10, 20 fois par jour ! Sandra, elle, a l’immense pouvoir de ne pas se soucier de ce qu’on pense d’elle : moi si sage, craintive, obéissante, je ne comprenais pas comment elle pouvait être aussi effrontée, culottée, audacieuse.
Pensez-vous qu’aujourd’hui il faille éduquer les filles à l’audace ?
Il faut l’encourager ! Si j’ai un regret dans la vie, c’est de ne pas avoir posé des questions. Je repense à mon père que je ne connaissais guère, je ne savais pas ce qu’il pensait.
Et ma grand-mère qui a quitté Odessa en bateau pour venir en Amérique toute seule à 14 ans ! Je donnerais cher pour savoir dans quel état d’esprit elle était à ce moment, ce qu’elle a dû traverser, comment est-ce qu’elle a survécu ? Je n’ai jamais osé poser ces questions… Elle était pourtant présente dans ma vie d’enfant, mais je ne savais rien d’elle, de sa vie de jeune fille puis de femme.
J’encourage beaucoup les gens à poser des questions, à faire preuve de cette audace-là, car c’est bien de l’audace. La parole fait bouger les choses. Elle n’est pas forcément grave ; d’ailleurs, il faut s’en amuser au quotidien, comme une invitation à aller au-delà du discours convenu, au-delà du miroir, franchir la pudeur…
Susie Morgenstern est une autrice pour enfants de nationalité américaine et française. Elle a écrit de nombreux livres, la plupart parus à L’École des loisirs, dont certains récompensés par des prix et devenus depuis des références dans le monde de la littérature de jeunesse : Un anniversaire en pomme de terre (1983), La Sixième (1985), C’est pas juste (1990), La première fois que j’ai eu 16 ans (1990), Lettres d’amour de 0 à 10 (1996), Confession d’une grosse patate (2003)…