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Antoon Krings : susciter la curiosité et l’amour de la nature
Comment commence une histoire ?
Quand j’imagine une histoire et que je commence à la travailler, je me mets en “état d’enfance”. J’ai besoin de me retirer, de m’éloigner de ma vie d’adulte et de laisser vagabonder mon esprit, d’être très replié sur moi-même. Ce n’est pas une démarche égoïste, mais plutôt solitaire. J’ai conscience que ce sont des moments furtifs, fragiles. Retrouver cette enfance, nous pouvons tous y parvenir. Je ne pense pas à tous mes petits lecteurs quand j’écris une histoire, ce serait trop gênant, trop impressionnant. Je puise aufond de moi-même, dans mes souvenirs d’enfance pour retrouver des sensations : l’appréhension d
u monde par exemple. Parfois les souvenirs reviennent alimenter le cours d’une histoire. Je retrouve un sentiment de bien-être, à me dire que je suis dans un monde miniature, un monde parallèle. C’est très sécurisant. Je parle d’un “état d’enfance”, car il est important de pouvoir se projeter dans ces mondes parallèle
s et d’y croire profondément. Je ne peux pas consacrer trois mois à construire une histoire si elle me semble bancale, ou si le personnage ne me paraît pas juste. C’est une quête, l’attente d’une image. J’essaye toujours d’explorer, à la manière d’un aventurier dans une jungle. Mon travail est avant tout un travail personnel que je vais ensuite partager avec les enfants. Quand le livre est imprimé, il ne m’appartient plus vraiment. Il appartient aux enfants, ils en font ce qu’ils en veulent.
Quel lecteur étiez-vous, enfant ?
J’aimais beaucoup les livres d’images, une passion quej’ai toujours gardée, même une fois jeune adulte. J’ai grandi avec de très beaux albums, mais il n’y en avait pas autant qu’aujourd’hui. Je me souviens notamment des albums du Père Castor, illustrés par de grands dessinateurs. Je trouvais qu’être du point de vue de l’animal était passionnant. Les descriptions sont vraies, justes, très bien écrites. On peut même s’identifier aux personnages, les humaniser.
Vous allez à la rencontre des enfants depuis trente ans, sont-ils les mêmes aujourd’hui et quel regard portez-vous sur cette enfance ultra-connectée ?
Je pense que le monde de l’enfance est fragile et fragilisé. Je ne suis pas sûr que le monde dans lequel on vit soit très bon pour leur épanouissement. On commence à avoir un peu de recul, pour éviter l’exposition des enfants aux écrans. Je trouve cela tout à fait justifié, car il est très difficile pour les parents et pour les enfants d’ailleurs d’échapper à ce monde hyperconnecté. Bien souvent, cela me met en rage de voir qu’on met un portable entre les mains d’un enfant pour le calmer. Lorsque ma fille était petite, il y avait la presse, des journaux. Le monde change très vite et on est seulement en train de prendre conscience des dégâts.
En faisant des livres, j’espère pouvoir transmettre aux enfants le goût de la lecture et de l’image, leur permettre d’avoir un autre regard. Je fais des films d’animation et ne condamne pas totalement les écrans mais je pense que cela doit être sous contrôle. Actuellement, on engendre des personnes dépendantes.
Cela me rassure de savoir que mes livres continuent à se vendre. Cela montre que la sensibilité persiste. Être dans la durée permet une forme de transmission. Un jeune homme m’a raconté que son goût pour les sciences naturelles – il veut devenir médecin – lui vient de mes livres ! C’était extrêmement touchant. Mes premiers lecteurs ont gardé de la tendresse pour cet univers. Ils ont gardé mes livres précieusement comme s’ils portaient un peu de leur enfance à eux…
Décrivez-nous le jardin de vos Drôles de Petites Bêtes.
Je l’imagine clos par des murs, mais ouvert au monde : chacun peut le traverser. C’est aussi un refuge, très rassurant, éclairé et lumineux ; pourtant, il est au cœur d’un décor très impressionnant : des arbres majestueux l’entourent. J’aime ce contraste, c’est-à-dire la luminosité d’un jardin, le côté rassurant qui invite à la méditation ou au bonheur, au bien-être et au rêve, et ces arbres peut-être un peu plus inquiétants. C’est le royaume des ombres, des contes où se tiennent nos peurs. J’ai éprouvé cela, enfant, cette appréhension de se retrouver seul dans un jardin. L’imagination se met en route. J’aime cette ambivalence.
Votre travail consiste aussi à amener les enfants à créer leur propre jardin ?
Oui, cet imaginaire n’a d’intérêt que si l’enfant est réceptif et peut développer son propre imaginaire. Pour une même image dans un album, chacun a une lecture ou une interprétation différentes. Quand on est adulte, on a une lecture autre des albums, plus proche des contes ou des fables. Raconter des histoires aux enfants, c’est nourrir leur imaginaire. Je cherche à susciter chez l’enfant l’envie, la curiosité, l’amour de la nature et des choses simples. Je prône aussi la paresse depuis longtemps car je la trouve constructive. Elle développe l’imagination et nourrit les inventions. J’observe souvent les enfants quand ils jouent. Il peut se passer n’importe quoi autour d’eux. Ils sont ailleurs, dans leur bulle.
Pourquoi avoir choisi de si petits animaux ?
Tout a commencé avec Mireille l’abeille ; les enfants ont souvent peur des insectes qui piquent. Les insectes ont très mauvaise réputation, comme beaucoup d’animaux d’ailleurs, souvent à tort. Cela vient finalement de la méconnaissance qu’ont les enfants de la nature. À travers mes histoires, je souhaite que les enfants développent cette curiosité. Pour mes livres, je m’inspire beaucoup de scientifiques ou d’écrivains ayant écrit sur les animaux. Je me nourris de ces lectures ; même si mes personnages sont doués de parole, portent des vêtements, il est très important pour moi de ne pas trahir l’animal que je représente. Je ne veux pas trop les transformer. Au début, Mireille l’abeille et Loulou le pou étaient des personnages un peu “cartoonesques” mais je me suis éloigné de cette représentation. C’était il y a trente ans et j’ai grandi avec ma collection. La beauté animale est quelque chose qui m’a toujours touché et intéressé. Enfant, je dessinais souvent des animaux avec une approche quasi scientifique. J’aime beaucoup les livres de sciences naturelles, la représentation d’une aile de papillon par exemple est d’une extraordinaire beauté.
Et quel plaisir de la peindre, de retrouver son côté à la fois moiré, velouté. Tout comme mes textes, je n’ai pas envie de simplifier ou d’édulcorer les images. J’ai envie de retrouver ces sensations de matières, de textures.
Dernier ouvrage paru : Lily pissenlit, Antoon Krings, Gallimard Giboulées, 2024.