Dans notre société individualiste, demander de l’aide peut être vécu comme une faiblesse. Puisque devenir parents est aujourd'hui un choix,...
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Petit éloge de l’alloparentalité
L’alloparentalité réunit ceux qui s’occupent de l’enfant sans être ses parents biologiques. Ce concept n’est pas récent, il repose sur des traditions ancestrales. Dans son livre Comment nous sommes devenus humains, l’anthropologue et primatologue américaine Sarah Blaffer Hrdy affirme qu’on peut voir « la longue histoire de l’évolution humaine comme une sorte de coopérative de maternage – qui incluent pères, mères, oncles, grands-mères, frères et sœurs plus âgés – où chacun aide la mère à s’occuper du petit et à le nourrir ».
Dans notre société contemporaine, les assistantes maternelles et les structures d’accueil prennent le relais des familles. Service utile, certes, mais qui ne remplace pas l’entraide dont faisaient preuve nos lointains ancêtres. Le fait est que bien des parents se sentent dépourvus de cet entourage proche sur lequel s’appuyer. Les parents sont-ils plus seuls et plus vulnérables qu’avant ? En quoi cette part de collectif est-elle nécessaire à l’épanouissement d’un enfant et de ses parents ?
Après un séjour à la maternité de plus en plus court, les mères se retrouvent vite seules face à elles-mêmes dans un contexte émotionnel et physique particulier. L’éloignement de la famille ou les divergences éducatives ne permettent pas toujours de créer un climat suffisamment serein pour instaurer un relais. De plus, force est de constater que l’évolution de la famille, notamment la monoparentalité et les séparations, impacte l’équilibre psychique parental. Ainsi, la santé mentale des mères seules, parfois très isolées, peut se dégrader plus rapidement. La perte de confiance et la mésestime de soi, des troubles anxio-dépressifs et le sentiment d’altération des compétences parentales sont récurrents.
Outre la sollicitation constante par les enfants du parent solo, le manque de temps pour soi impacte ainsi la vie sociale, laissant peu ou pas de disponibilité pour sortir, pratiquer du sport, se ressourcer entre amie·s. Le temps est compté, les moments de répit pour certaines mères sont rares, voire inexistants. La précarité économique majore également les difficultés parentales, générant du manque, de la frustration et renforçant un sentiment de marginalité. Cette mutation du modèle de la famille nucléaire a fait émerger la notion de “burn-out parental” mettant en exergue l’épuisement psychique et physique. Quand un parent n’a que peu ou pas de soutien, la charge mentale devient parfois insoutenable.
Dans ce contexte, l’alloparentalité semble plus pertinente que jamais, car elle propose un soutien de proximité. Des communautés se créent aujourd’hui pour “faire famille”, rappelant l’importance de se rassembler pour partager les défis et les joies de la parentalité. Un parent qui s’entoure n’en reste pas moins un parent attentif à son enfant, même s’il délègue. Si la théorie de l’attachement souligne le rôle prépondérant de la mère, l’alloparentalité nuance le propos. Un enfant a besoin du décodage de ses besoins. Un parent démuni face aux pleurs incessants de son bébé peut se sentir soulagé par le relais d’une tierce personne, quels que soient les liens de filiation, qui accueillera cela avec sa personnalité et offrira ainsi au parent la possibilité de souffler et de revenir plus serein et plus disponible vers l’enfant. L’allomaternage permet ainsi à une mère de confier son enfant pour pouvoir elle-même combler ses besoins immédiats en sachant son enfant en sécurité physique et affective. En communauté, le relais est plus instantané et la préoccupation maternelle primaire plus élargie ; ainsi, l’enfant se tourne plus vite vers des figures d’attachement secondaires. La relation de confiance accordée par les parents à des pairs ouvre une dimension de confiance en autrui et tisse un filet de sécurité plus large.
La diversité des personnalités au sein d’un groupe d’alloparents est également bénéfique pour l’enfant, lui offrant une ouverture d’esprit et renforçant son empathie. En fréquentant plusieurs adultes, il développe une intelligence émotionnelle, une capacité à s’adapter, ainsi qu’une aisance sociale accrue. Dans un contexte multigénérationnel, les enfants bénéficient de modèles variés, acquérant une autonomie affective et une meilleure compréhension de l’environnement adulte, ce qui leur permet de grandir en confiance.
Cependant, pour que cette entraide soit vraiment bénéfique, il est essentiel que les membres de ce réseau partagent des valeurs éducatives communes ; un trop grand nombre de contradictions pourrait créer de la confusion pour l’enfant. Enfin, l’alloparentalité interpelle aussi sur le soin des parents eux-mêmes, car ils ont besoin de soutien pour se réaliser pleinement dans leur rôle. En bénéficiant de l’aide de leurs proches, ils peuvent se ressourcer et vivre la parentalité avec plus de sérénité, contribuant ainsi à un nécessaire retour aux sources dans notre société individualiste.