On a coutume de dire que dans notre société moderne, le temps de l’enfance se raccourcit. Les enfants grandissent-ils trop vite ?
Je pense que c’est plus complexe que ça. Aujourd’hui, les enfants sont à la fois très contrôlés, protégés – voire surprotégés –, en partie du fait du contexte actuel. Ainsi, par rapport à leurs aînés, nos enfants sont plus couvés ; ils ont moins de liberté, ils sont moins autonomes. Dans le même temps, la proximité avec leurs parents (qui n’est pas une mauvaise chose en soi) les rend perméables à leurs soucis et crée une situation paradoxale : ils sont à la fois protégés mais doivent faire preuve d’adaptation constante dans des situations parfois difficiles pour eux.
Je constate également que les adultes ont tendance à penser que leurs enfants sont mûrs alors qu’en réalité, ils sont débrouillards et pas forcément matures.
Comment faire la distinction entre débrouillardise et maturité ? Rentrer seul de l’école, avoir son propre trousseau de clés, un téléphone portable… Comment savoir quand c’est le moment ?
C’est une question d’observation et de jugement. Certains enfants sont prêts plus tôt que d’autres, mais l’important, c’est que les étapes d’autonomie soient franchies avec succès, sans heurts, sans que cela ne suscite chez l’enfant le sentiment d’être un peu dépassé par les événements. Si c’est le cas, on peut créer des blocages a posteriori. Je pense par exemple à une jeune patiente de onze ans qui avait développé une phobie de déplacement. Elle allait seule en métro à l’école depuis l’âge de neuf ans, ce qui était sans doute prématuré ; pourtant, sur le moment, elle était fière de le faire. Notre rôle de parents est de bien observer nos enfants, de leur donner des objectifs réalisables, de ne pas présumer de leurs forces sans les couver pour autant !
L’enfant qui grandit veut souvent tout comprendre. Craintes existentielles, interrogations sur la reproduction, la mort ou la maladie… Comment répondre à ses interrogations “de grand” sans risquer de faire naître des peurs ?
Quand un enfant dit : « Comment c’est être mort ? », il faut d’abord sonder ses connaissances et ses représentations sur le sujet, avant de s’embarquer dans des explications et des raisonnements qui le dépasseraient ou qui pourraient engendrer de la peur. Aux parents d’enfants qui posent beaucoup, beaucoup de questions, je conseillerais, de temps en temps, de signifier à l’enfant qu’il en sait assez sur tel sujet pour le moment, tout en laissant ouverte la porte du dialogue car souvent, derrière cette logorrhée, se cache une anxiété assez forte.
Vous dites que « derrière chacune de nos peurs se cache une opportunité de grandir ». La peur fait donc partie des émotions nécessaires au développement de l’enfant ?
Absolument. La peur est une émotion utile et nécessaire, car elle nous protège. Les enfants qui n’ont peur de rien sont dans la toute-puissance et ne veulent pas connaître leurs limites. Ce n’est pas un signe de grande maturité. Chez l’enfant qui se sent en sécurité, les peurs qu’il va éprouver et traverser vont l’aider à grandir et à s’autonomiser. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas les écouter ! Face aux grandes craintes infantiles telles que la peur du noir et de la nuit, du loup, des monstres, il faut trouver le bon dosage empathique afin que l’enfant se sente écouté, réconforté et protégé, mais aussi aidé. Si nous sommes trop dans l’empathie, nous risquons de maintenir la peur. Pour nombre de peurs “classiques” comme la peur de l’eau, d’un animal, la bonne posture consiste à apaiser l’enfant, le sécuriser, puis l’accompagner avec douceur, afin qu’il sente que l’adulte qui est à côté de lui sait qu’il n’y a pas de danger.
Est-ce que certaines peurs correspondent à de grandes étapes ?
En effet. Il y a ce qu’on appelle les peurs de développement, les peurs œdipiennes qui s’expriment essentiellement entre trois et six ans et qui sont liées à la sécurité intérieure de l’enfant (peur des voleurs, des monstres). Ces peurs régressent d’elles-mêmes dans la mesure où l’enfant jusqu’à sept ans – que l’on qualifie à juste titre d’âge de raison –, a un imaginaire tout-puissant, qui lui fait croire que tout est possible.
Pour un enfant de quatre ans, qu’il y ait un monstre sous son lit n’a rien d’impossible. Donc évidemment, il peut se faire très peur. Vers six ou sept ans, avec l’entrée dans les apprentissages, dans la lecture, l’intérêt pour le rationnel va faire naturelle ment refluer ce monde imaginaire. Quand ces peurs irrationnelles se maintiennent au-delà, c’est un signe d’anxiété qui mérite d’être interrogé. Bien sûr, parfois, certains enfants font des petits retours en arrière ou ont des attitudes qu’on peut qualifier de régressives, notamment dans des périodes de changements. C’est parfaitement normal. Aux parents d’être attentifs à ce que cela ne s’installe pas.
Beaucoup d’enfants expriment une peur de grandir. Comment pouvons-nous y répondre ?
Il y a des étapes qui peuvent les angoisser un peu. La sortie de l’enfance est inquiétante, elle s’accompagne, je le vois en consultation, de moments de régression et d’explosion de peurs d’enfant justement : par exemple, avoir peur de dormir seul. C’est absolument inconscient mais il faut aider ces jeunes, car c’est vraiment la peur de quitter l’enfance qui s’exprime là. C’est une émotion très puissante.