| Publié le 17 septembre 2019 - Propos recueillis par Sophie Behr et Iris Cazaubon - Photo : Nathalie Jouan

La puissance de la joie selon Frédéric Lenoir

La puissance de la joie selon Frédéric Lenoir

Philosophe, sociologue, historien des religions, Frédéric Lenoir a publié La puissance de la joie en 2015 (Fayard). Il a répondu à nos questions pour notre dossier consacré à la joie de l’automne 2018.

Quelle est la différence entre le plaisir, le bonheur et la joie ?

Les trois sont des expériences de satisfaction. La première, que nous faisons tous, est celle du plaisir, la satisfaction immédiate d’un besoin ou d’un désir : j’ai envie d’appeler un ami, je l’appelle, j’éprouve du plaisir. Le plaisir est une expérience quotidienne particulièrement vaste. Le bonheur est plus compliqué à atteindre car c’est un état d’être, une sorte d’état de satisfaction global et durable. Une autre différence est que le plaisir dépend uniquement de causes extérieures, alors que le bonheur dépend à la fois de causes intérieures et extérieures, et notamment de la conscientisation des plaisirs. Épicure nous dit : « Le bonheur commence par être présent à tous les petits plaisirs du quotidien. » C’est parce qu’on est présent au plaisir que l’on va regarder le soleil, boire un verre d’eau, parler avec des amis… et que l’on va créer un “état d’être” de satisfaction global et durable.
Pour atteindre le bonheur, il faut donc faire en sorte que notre satisfaction ne dépende plus uniquement des causes extérieures, mais qu’elle réside dans le regard que l’on porte sur la vie. La sagesse, c’est aimer la vie avec ses hauts, ses bas, ses moments agréables et désagréables sans dépendre uniquement du conditionnement extérieur.
La joie, c’est encore autre chose. C’est une émotion très puissante qui arrive dans certaines conditions. Elle ressemble au plaisir dans le sens où elle ne dure pas forcément longtemps, mais on peut la cultiver afin de la rendre quasi permanente. Telle est la quête de Spinoza : comment fonder un bonheur, donc un état d’être de satisfaction global et durable, sur la joie. On peut aussi rechercher un état de bonheur fondé sur la sérénité, à l’image des bouddhistes et des stoïciens. La joie est donc à la fois une émotion qui ressemble au plaisir et qui peut devenir un état d’être et donc une incarnation du bonheur.

“ Chaque fois qu’un enfant progresse, grandit, découvre de nouvelles choses, il est dans la joie ! ”

Peut-on vivre, une fois adulte, des joies aussi intenses que celles vécues pendant l’enfance ?

Il faut comprendre ce qu’est la joie de l’enfant. D’abord, il vit dans l’instant présent, ce qui, selon Épicure, provoque beaucoup plus de plaisir et de joie. La joie vient de la qualité d’attention à ce que l’on fait. Elle est liée, chez les enfants, à la qualité de présence qu’ils ont dans l’instant : ils ne se projettent pas. La deuxième chose, c’est qu’ils sont dans l’accueil et la simplicité de la vie. Ensuite, nous enseigne Spinoza, la joie est intrinsèquement liée au progrès. Chaque fois qu’un enfant progresse, grandit, découvre de nouvelles choses, il est dans la joie ! Pourquoi perdons-nous cette joie une fois adultes ? Parce que notre ego et notre mental se complexifient, que nous sommes de plus en plus sensibles au regard des autres, trop souvent dans la rumination du passé et la projection de notre futur. Nous avons aussi moins l’impression de progresser au quotidien. Mais, bonne nouvelle, nous pouvons travailler pour redevenir de petits enfants en apprenant à vivre dans l’instant présent, en lâchant l’ego et le mental grâce, entre autres, à un travail sur soi, de la méditation, des exercices spirituels…

À lire : La puissance de la joie, Fayard (2015)