« Vos enfants ne sont pas des grandes personnes », rappelait Béatrice Copper-Royer dans un ouvrage éponyme (2010). Depuis des années, la...
» Lire l'articleOde à la gourmandise
Ode à la gourmandise
Petite fille, j’attendais le réveillon avec impatience. Comme tous les enfants me direz-vous. À la différence que je grandissais en Afrique, loin des traditions et du froid hivernal.
Ce temps-là me reconnectait à mes racines, à la personne de ma grand-mère en particulier. J’admirais sa constance et sa puissance, elle qui gérait tout d’une main de maître. D’ordinaire plutôt effacée, peu sûre d’elle, elle en imposait. En cuisine, comme on disait en Afrique, « y’avait pas son deux » ! Je sentais qu’elle était détentrice de secrets culinaires inestimables. Et je me sentais réconfortée, nourrie par toute l’énergie qui régnait quelques jours avant le réveillon.
« Plus que tout, nous nourrissons la joie d’être ensemble. »
Prémédités de longue date, longuement mijotés, les plats étaient parfois simples, mais toujours plus généreux en saveurs et épices qu’en temps normal. Chaque mets était accueilli par des soupirs d’aise et de joie, qui en disaient long sur l’attachement aux traditions, proche d’une dévotion gourmande.
Je n’ose vous avouer que chacun attendait en frétillant les escargots au beurre persillé, moi y compris ! J’y repense avec horreur aujourd’hui (et oui, tout change…), mais quel plaisir nous avions…
Je ferme les yeux. Je m’aventure un peu plus dans ces souvenirs. Je revois ma grand-mère modestement apprêtée, sous son tablier à petites fleurs bleues. Elle s’affaire aux fourneaux, un peu tendue. J’entends les cliquetis des couvercles de casseroles qui se soulèvent et se referment. Tout doit être parfait. Tel qu’on lui a enseigné en école de cuisine, alors qu’elle était jeune fille. Peu loquace, elle est concentrée à la tâche, bien consciente d’occuper le rôle principal ces soirs-là. Un rôle auquel elle se prépare depuis des semaines. Chaque année, le mois de novembre est consacré à la confection des petits gâteaux de Noël typiques de Lorraine. Tant attendus. Stockés dans de grandes boîtes en fer, dans un lieu tenu secret.
Chapeaux de Napoléon, pains d’épice recouverts d’un délicat glaçage blanc, palets… Mes préférés sont de loin les Spritz, aux deux extrémités chocolatées. Mais avant de succomber à leur charme, il nous faut accueillir comme il se doit les deux “grandes dames” de la soirée. Les clous du spectacle. Les bûches. Une au café, une au chocolat. Elles attendent leur heure dans la tranquillité et la fraîcheur de la chambre d’invités. Ma petite soeur et moi allions les voir en cachette dès notre arrivée, pour s’assurer qu’elles étaient bien là. Les dévorant des yeux, commençant déjà un peu à les déguster.
Aux sons de chants de Noël allemands auxquels nous ne comprenions rien, mais qui avaient le pouvoir de remplir le coeur de mon grand-père de béatitude, nous nous délections à chaque bouchée de tout le soin et l’amour mis dans la préparation.
Aujourd’hui
J’ai hérité du carnet de cuisine de ma grand-mère. Mon trésor. Illisible le plus souvent – écrit en patois –, il a traversé des fêtes et des épreuves aussi. Il a été témoin d’une énergie d’amour et de foi dans le plaisir de manger, de transmettre des traditions. Les petits gâteaux de Noël sont prêts. Peut-être sont-ils moins savoureux que ceux de ma grandmère, mais le symbole est tout bonnement délicieux. Dès la veille du réveillon, la cuisine est en émoi. Depuis quelques années, nous organisons ce repas entre soeurs. Quelle joie de construire ensemble ce moment ! Plus d’escargots au programme (je soupçonne ma soeur d’en manger en douce à un moment ou un autre), mais des recettes colorées, végétariennes, qui célèbrent nos valeurs de respect pour le bien-être animal. Et si ce choix est le mien, je considère que fondamentalement, chaque menu est juste s’il est l’évocation de traditions chères à notre coeur. Qui dit rassemblement dit aussi points de vue et régimes alimentaires différents ; cela fait partie du jeu. C’est là aussi notre cadeau le plus merveilleux : choisir les recettes qui donneront le plus de plaisir à chacun, qui sèmeront couleurs et magie sur notre table.
Se rassembler, se réchauffer de plats consistants. Recréer une chaleur intérieure dans le froid hivernal. Mettre des chants de Noël. Évidemment. Se sentir heureux d’être au chaud, en sécurité. Un beau cadeau. En ressentir de la gratitude. En recréant la gourmandise des Noëls d’enfance, dans la pleine conscience de l’héritage transmis à travers les générations, nous nous nourrissons pleinement : coeur, corps et âme. Alors profitons de ces fêtes de fin d’année pour cuisiner, savourer les mets festifs qui nous réunissent autour de la table, créons les traditions qui font véritablement sens pour nous. Laissons à chacun le soin de se servir la portion dont il a besoin, respectant ses goûts. Et plus que tout, nourrissons la joie d’être ensemble !