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Calme et attentif comme une grenouille – Entretien avec Eline Snel
Comment avez-vous créé votre méthode ?
Je pratique la pleine conscience depuis plus de quarante ans et j’enseigne la méditation depuis une trentaine d’années. Tout a commencé grâce à ma fille, chez qui, à l’âge de 12 ans, on a diagnostiqué un TADH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité). À l’époque, il n’existait aucune méthode de méditation pour les enfants. Les enfants peuvent tirer des bénéfices incontestables de la pleine conscience, je m’en suis rendu compte très vite avec ma fille puis auprès de nombreux autres enfants.
Vous expliquez que, jusqu’à un certain âge, les enfants vivent naturellement connectés à leur corps et à leur monde intérieur.
Chez les jeunes enfants, tout est lié. Tout leur être est connecté, corps, âme, émotions et sagesse, ce savoir qu’ils portent en eux naturellement. Quand ils commencent à acquérir un savoir cognitif et cherchent à atteindre des objectifs, avoir de bonnes notes en classe par exemple, ils perdent cette connexion à eux-mêmes et se mettent à vivre dans leur tête, comme de petits professeurs.
La pleine conscience reconnecte les enfants à leur dimension intérieure. Ils sentent immédiatement que c’est bon pour eux, que c’est ce dont ils ont besoin pour rester proches de ce qu’ils sont et devenir qui ils sont. La pleine conscience leur procure de la joie, de la sérénité, du calme… mais pas seulement ! Elle leur permet de découvrir qu’ils sont courageux, volontaires ou intrépides. Ma méthode n’a pas pour vocation de faire des enfants calmes, mais des enfants ouverts, attentifs à leur richesse intérieure. Ils renouent avec leurs émotions et leurs sentiments, que certains identifient parfois pour la première fois. Ils mettent des mots dessus, font des liens et les situent dans leur corps, car nos sentiments et nos émotions sont toujours logés quelque part. Apprendre très tôt à vivre en accord avec ses émotions est une chance ! Vous avez une approche multimodale, qui passe par le dessin, les contes, la gymnastique, la respiration et la réflexion. Tous les chemins sont bons à prendre pour apprendre à se découvrir et se reconnecter à soi-même. Ce sont aussi différents outils pour se relier aux autres et à la réalité. Quand un enfant établit sa météo intérieure avec les dessins de la petite grenouille, il se penche sur ses émotions et apprend que, s’il ne peut pas changer le temps, il peut ajuster sa réponse. Est-ce que je ressens de la colère, de la peur, de la joie, de la tristesse ? Dois-je mettre un pull s’il fait froid, un imperméable s’il pleut, des sandalettes s’il fait beau ? Quand l’enfant médite, il est invité à identifier s’il voit cette émotion dans sa tête ou s’il la ressent.
Il commence à comprendre ce qu’il vit, ce qui est très important pour lui. Et s’il ne le comprend pas, aucun problème : il profite d’un moment où il n’a pas à accomplir quelque chose, bien faire ou se tromper. C’est très différent du quotidien, où il est sans cesse évalué.
Votre deuxième livre, L’Éveil de la petite grenouille s’adresse aux tout-petits, mais aussi à leurs parents et aux adultes qui contribuent à leur éducation. En quoi la pleine conscience peut-elle aider les parents ?
La pleine conscience, c’est faire le choix d’être pleinement présent à ce qu’on fait. Quand vous emmenez vos enfants se coucher, emmenez-les se coucher, quand vous lisez un livre, lisez un livre, ne faites rien d’autre en même temps. La clef, c’est la présence. À soi et à son enfant. Être présent est un exercice de tous les instants. Ce n’est pas facile et demande beaucoup d’attention, car la plupart du temps nous sommes absents. Nous pensons à la liste de courses, au rendez-vous chez le dentiste, à ce qu’on va cuisiner ce soir, alors que nos enfants veulent partager ou faire quelque chose avec nous, en tout cas avoir notre attention. Quand on veut devenir pianiste, il faut pratiquer. C’est pareil pour la présence. Méditer vous aide à mieux vous rendre compte des moments où vous n’êtes pas pleinement présent. Méditer est accessible à tous, à tout moment de la journée, sous la douche, en se lavant les dents ou en marchant dans la rue sans se précipiter. Il suffit de respirer calmement et d’être attentif à chaque sensation.
Diriez-vous que les enfants vivent l’instant présent de façon plus intense que les adultes ?
Très certainement. Mais ils n’en sont pas conscients. La méditation en pleine conscience travaille sur cette conscience-là, l’attention à ce que nous vivons, pensons, ressentons ou faisons au présent. À partir de 3 ou 4 ans, les enfants savent faire la différence entre un « oui » plein et entier, présent, et un « oui » qui veut dire « peut-être », « attends », « je ne sais pas ». Avant 3 ans, ils sont impulsifs, exclusivement, et ne distinguent pas ces nuances. Ils ne peuvent pas non plus méditer. Les adultes doivent donc leur montrer, par l’exemple, différentes réponses possibles à une situation. Tous les enfants naissent avec une bonté intérieure naturelle. En cas de crise, la solution consiste, pour l’adulte comme pour l’enfant, à trouver la voie vers cette bonté. En établissant un contact visuel, on peut gentiment suggérer qu’il existe d’autres possibilités que la morsure, les cris ou les coups pour exprimer une émotion. Les enfants deviennent ce que vous leur montrez. Ils apprennent par imitation, grâce à leurs neurones miroirs. Si leur environnement est agité, ils le seront eux-mêmes. Quand leurs parents crient, ils se mettent à crier aussi, ils copient. Il en va de même avec la capacité à se calmer ou à rester calme, à être présent à soi-même, au présent, à ce qu’on vit, aux autres. Quand vous regardez votre enfant sans jugement, avec tout votre amour, non seulement vous voyez qui il est profondément, mais vous comprenez beaucoup mieux son comportement. Le caractère d’une personne ne change jamais.
En somme, votre méthode n’a pas pour but de changer le monde, mais de permettre à ceux qui l’appliquent de rester le plus sereins possible dans un monde en mouvement.
Exactement : s’accepter soi-même et reconnaître que ce que je traverse est difficile, stressant. J’ai le droit de ne pas être heureux, d’être agité, excédé par le comportement de mon enfant. Voilà, c’est un fait : les choses sont ce qu’elles sont. Personne n’attend de vous que vous soyez parfait, vous ne le serez jamais. Et n’attendez pas de le devenir, ou vous serez extrêmement déçu. La pleine conscience aide à se rendre compte des moments où on est à bout et, la prochaine fois, de s’en rendre compte avant d’exploser en larmes, de colère ou de fatigue. Elle permet de trouver en soi la ressource pour faire de son mieux. Pour les parents, il n’est pas toujours facile de comprendre ce que les très jeunes enfants expriment à travers leurs comportements, il n’est pas toujours facile non plus de réagir calmement. Élever un enfant réveille de vieux souvenirs et rouvre des blessures. On n’est même pas toujours conscient des raisons pour lesquelles on réagit de telle ou telle façon… Se rappeler qu’on a la solution en soi et prendre quelques secondes pour respirer, être présent et connecté à son monde intérieur permet de ne pas se laisser déborder par sa propre histoire et de se montrer bienveillant envers soi-même. Parfois, ,pour y voir clair, on aura besoin d’en parler avec quelqu’un. Mais la méditation peut déjà beaucoup aider à reconnaître, à travers toutes les ombres, ce qu’il y a de bien en soi. À partir de là, on voit mieux ce qu’il y a de bien chez les autres.
N’oublions jamais que les enfants sont un peuple à part. Ils viennent au monde avec un jardin intérieur unique, bien à eux, qui peut être très différent du nôtre. La tâche du parent n’est pas de modifier ce jardin intérieur en y plantant ses propres graines ou ses propres plantes, mais de veiller à lui donner suffisamment de lumière et d’eau, d’amour, de confiance et d’attention pour faire de l’enfant un petit jardinier heureux… Le propriétaire, c’est l’enfant. Son jardin est tel qu’il est, il lui appartient. En étant curieux et en le regardant sans préjugés, avec bon sens et étonnement, vous découvrirez tout ce qui s’y trouve et en prendrez soin d’autant mieux. Vous laisserez plus d’espace à votre enfant.
Portrait © Kee and Kee